Des équipages de chasse à courre étrangers qui viennent en France pour contourner la loi de leur pays ? C’est bien le cas, et pour en comprendre les raisons, voici un petit tour de la question et de ses enjeux, à partir d’une poignée d’exemples concrets.
UNE PRATIQUE INTERDITE CHEZ NOS VOISINS
L’Allemagne a été notre première voisine à tirer un trait sur cette pratique barbare : d’abord en République Démocratique, puis en République Fédérale en 1952. C’est désormais une course au leurre dite “drag hunting” qui remplace la vraie chasse à courre outre-Rhin. Là-bas, la chasse à courre n’a jamais eu de vraies racines culturelles profondes (le nom même de la pratique “parforcejagd” ainsi que tout le jargon de vénerie était d’origine étrangère) et son abolition y a été une formalité. Néanmoins, interviewé par la chaîne LCP, l’Allemand Willibald Mueller dit venir en France pratiquer la “vraie chasse à courre”, qu’il regrette.
En Belgique, l’abolition s’est déroulée en plusieurs temps. La chasse à courre “au chevreuil et à cheval” a été interdite en 1992, puis c’est tout le reste de la vénerie qui a été bannie de Wallonie en 1995, laissant aux équipages un délai de 5 ans pour s’arranger de leurs formalités.
Au Royaume-Uni, l’abolition date du Hunting Act de 2004, adopté sous le gouvernement de Tony Blair. Mais cette loi laisse le champ libre au contournement par les veneurs : sous couvert de “chasse au leurre” (“trail hunting“, une pratique autorisée), ils violent constamment l’interdiction sans être sanctionnés, et ce malgré des aveux répétés de leur part et des preuves indubitables de leurs opposants, comme le révélait encore récemment la fuite d’un webinaire du Hunting Office.
En Italie, en Espagne et en Suisse, nos autres voisins frontaliers, la chasse à courre n’a pas eu besoin d’être interdite : elle n’y a jamais vraiment été pratiquée. Il n’y a qu’en Italie, près de Turin, qu’on peut trouver une poignée de chasseurs “au leurre” regroupés autour de la “Società Torinese per la Caccia a Cavallo“.
Depuis les interdictions successives chez nos voisins, la vénerie française se vante d’une recrudescence de ses adhésions et de son nombre d’équipages, et revendique ainsi un regain d’intérêt pour leur loisir. Mais l’exode des veneurs étrangers, fuyant la loi de leur pays, est responsable d’au moins une partie de ce nouvel engouement pour la vénerie en France.
Pour les Anglais, nul besoin de fuir leur pays : la chasse “au leurre” et l’absence de contrôle sérieux leur permet de continuer chez eux comme si de rien n’était. Cette chasse illégale est même revendiquée ouvertement dans le “Livre Blanc de la Vénerie” française :
Pour autant, l’entrée en vigueur de l’interdiction a d’abord semé le trouble, et certains ont étudié la possibilité de déménager leur meute en France, une option accueillie chaleureusement par ceux qui voyaient cela comme un intéressant boost économique et touristique pour le pays.
C’est donc surtout par goût du tourisme cynégétique que les veneurs anglosaxons font le voyage chez nous pour y tuer les animaux sauvages. Des témoins ont pu en voir parfois en forêt de Compiègne et de Laigue en Picardie, ou en Normandie, et des tour-opérateurs organisent même des séjours promettant une expérience pittoresque. Le seul équipage de chasse dit “au leurre” de France, le “Pau Hunt”, est largement composé d’Anglais du fait de ses liens avec le club privé élitiste béarnais le Cercle anglais. À Compiègne (60), on peut aussi voir tous les ans des officiers hollandais parmi les veneurs locaux, comme ci-dessous le 9 décembre 2017.
Pour les veneurs belges, frustrés eux aussi par l’abolition sur leur territoire, c’est une autre affaire. Le journal L’Express décrit un véritable exode vers la France, dont les forêts les plus proches, celles des Ardennes et de Picardie, sont facilement accessibles depuis la frontière et permettent le déplacement hebdomadaire des meutes. “En 2000, les veneurs belges ont dû démonter leurs 4 équipages après le vote d’une loi prohibant leur passion. La plupart chassent désormais outre-Quiévrain, sous des auspices plus cléments.“
Le “Rallye Ardennes Campine“, du Baron de Fierlant et du Comte d’Ursel, a pendant quelques années été accueilli par des équipages français, espérant que cet exil serait de courte durée. Mais en 2006, ils abandonnent leurs rêves de restauration et se trouvent finalement un fief à eux dans l’est de la France :
Voici comment ils décrivent cet épisode dans un auto-reportage très instructif : “Malgré diverses tentatives, la chasse à courre ne fut depuis lors pas réouverte en région wallonne. La pérennité de l’équipage était compromise. Il fallait trouver une solution mais laquelle ?” Les voilà “contraints de prendre la direction de la France“.
Mais pour ces Belges qui ont perdu leur fief avec l’interdiction, le statut de veneur sans terre s’accompagne d’une déshonorante vassalité. Demander l’asile à son voisin pour jouir de ses terres avec lui en tant qu’”invité” n’est pas chose aisée, et n’est pas sans instaurer une certaine dette symbolique, en particulier quand on ne peut rendre l’invitation.
Ceux du “Rallye Vielsalm“, de leur côté, ont décidé de contourner l’interdiction en s’installant directement dans l’Aisne (02), en forêt de Saint-Gobain. “En 2000, l’interdiction de chasser en Belgique amène l’équipage à s’installer en France […] Une partie de l’élevage se fait toujours en Belgique.”
LA FRANCE COMME BASE ARRIÈRE
C’est un scénario qui se reproduit dans chaque pays où l’abolition a eu lieu : les veneurs passent d’abord par une phase de déni. L’espoir de voir leur loisir à nouveau autorisé pousse ces personnes à s’organiser autour de cette possibilité. Leur priorité est donc de maintenir toute leur infrastructure intacte (chenils, élevages, métiers, formations, réseaux politiques, etc.). C’est un enjeu majeur pour eux, et le veneur allemand Willibald Mueller l’explique bien : “La chasse à courre, une fois qu’elle a disparu, elle ne revient jamais. Les chiens ne sont plus entraînés, les gens ne comprennent plus la pratique.” En cela, la vénerie française a eu chaud à la Révolution française de 1789. Sa restauration par Napoléon Bonaparte en 1802 n’a laissé que 13 ans de flottement.
Les veneurs des pays limitrophes trouvent chez nous, notamment grâce au laxisme de la loi française sur la souffrance animale, des moyens de faire perdurer leur infrastructure et se tenir prêts pour une reprise de la pratique chez eux.
Nos forêts servent en ce moment de base arrière à ces veneurs étrangers qui attendent la restauration. Il est évident qu’une abolition de la chasse à courre en France profitera à la pérennité de la loi dans les pays voisins. Il est donc de notre responsabilité au niveau européen d’en finir avec cette pratique et de rattraper notre retard à ce niveau.
La devise du “Rallye Ardennes Campine”, “Tant que pourra” résume bien toute la chasse à courre à notre époque…