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Rapport Bateson : la cruauté de la chasse à courre démontrée scientifiquement

En mars 1997 est publié un document unique et inestimable pour les observateurs des enjeux autour de la chasse à courre : le Rapport Bateson.
Sur la base de prélèvements biologiques, cette étude conclut qu’une chasse à courre « génère chez le cerf un stress extrême et très probablement une grande souffrance ».

Nous mettons à disposition le rapport complet original en bas de page.

Les modalités scientifiques du rapport

Le Professeur Patrick Bateson est un biologiste émérite, expert en zoologie et en éthologie (l’étude du comportement animal). Membre de la Royal Society (l’équivalent de l’Académie des Sciences en France) il a notamment présidé la Zoological Society of London et est reconnu comme l’un des meilleurs au monde dans son domaine.bateson title

Pendant la saison de chasse 1995-1996, assisté par le Dr. Elizabeth Bradshaw, il procède donc à des prélèvements et des observations pour étudier les « Effets comportementaux et physiologiques de l’abattage du cerf élaphe » (la même espèce chassée en France). Il réalise ce travail à la demande du National Trust, deuxième plus grand conglomérat de propriétaires terriens anglais après l’État, pour statuer sur le maintien ou non de la pratique sur ses terres après d’innombrables controverses.

Il décrit son travail réalisé pour cette étude de la manière suivante :

« J’ai reçu pour mission d’étudier les aspects relatifs au “bien-être” dans le cadre de la chasse à courre du cerf élaphe dans la région de l’Exmoor et des Quantocks en Angleterre et de les comparer à d’autres modes d’abattage. […]

Cette étude tire ses origines dans la controverse dont a fait l’objet, entre 1988 et 1994, la question de l’interdiction de la chasse à courre du cerf élaphe sur le territoire appartenant au National Trust. […]

J’ai également bénéficié du soutien d’un groupe de scientifiques spécialisés dans les différents domaines de connaissances concernés. Certains membres de ce groupe ont été nommés par des organisations dont les avis sur la chasse divergent. »


La participation active des chasseurs à courre tout au long du processus est clairement soulignée :

« Je reconnais le rôle qu’a joué chacune des parties opposées pour rendre possible la réalisation de cette étude et tout particulièrement le rôle des équipages de chasse à courre dans la collecte des échantillons de sang qui se sont révélés d’une importance capitale. […] On pourrait faire valoir que les équipages de chasse à courre n’auraient pas dû participer à une étude compromettant leur pérennité. Cependant, à l’origine de cette étude, nous n’avions aucune certitude quant au résultat sans équivoque qui allait émerger, dans un sens comme dans l’autre. C’est tout au mérite des équipages d’avoir collaboré avec nous comme ils l’ont fait. »

 

Axée spécifiquement sur la notion de rapports coûts/bénéfices appliquée à la question du bien-être animal, l’étude aborde ce sujet par différents angles, notamment en comparant différentes pratiques de chasse ou d’élevage pour établir une échelle des niveaux de souffrance observés. Le rapport présente ainsi :
• Une analyse comportementale des cerfs chassés, comprenant la répartition des animaux et leurs déplacements naturels sur un territoire donné, la mesure de la « longueur des chasses en terme de durée comme de distance » et la comparaison des mises à mort, à travers des observations directes, des rapports et des vidéos.
• Une observation, à titre comparative, du « taux de blessures engendrées par la chasse à tir, par l’analyse des tableaux de chasse de chasseurs à tir et de marchands de gibier faisant état du nombre de cerfs tués ou blessés par balle. »
• L’analyse des profils physiologiques des cerfs élaphes, par des prélèvements de sang et de muscles au moment de la mise à mort, sur des cerfs chassés à courre, à tir, blessés suite à un accident et sur des cerfs issus de l’élevage.
• Une approche théorique, consistant en la « modélisation des coûts induits par la prise en compte du bien-être et des avantages des différents modes de chasse. »

Les critères de jugement retenus pour statuer sur la mise en péril du « bien-être » physique des animaux étaient les suivants :
• Le niveau de souffrance subi
• Le dépassement des limites physiques normales pour l’espèce

Pour évaluer le bien-être physiologique des animaux (une notion incontournable en éthologie mais également définie dans la loi), il a fallu se baser sur des extrapolations mesurées, comme le décrit ici le rapport :

« Les notions d’anxiété, de détresse, de souffrance et de douleur, telles qu’utilisées dans notre étude et dans la réglementation relative à la protection des animaux, sont toutes définies d’après l’expérience subjective de l’humain. Pour permettre une telle projection de l’expérience et des émotions humaines, il suffit de construire un profil des caractéristiques comportementales et des processus physiologiques impliqués lorsque l’humain se trouve dans un état spécifique. On utilise ce profil, avec toutes les précautions nécessaires, dans l’examen des caractéristiques d’un animal soumis à des stress similaires. Plus l’animal présente des similarités avec l’humain, plus on peut attribuer l’état humain à l’animal. En somme, cependant, on doit accorder le bénéfice du doute à l’animal. Ce sont les critères que j’ai utilisés pour évaluer les résultats de nos analyses. »

Loin des discours obscurantistes sur l’anthropomorphisme et la sensiblerie qui s’accrochent coûte que coûte à une vision cartésienne de la Nature, cette étude vient également rappeler que la science et l’éthologie se sont déjà emparées de la question de l’évaluation de la souffrance des animaux et qu’elles sont en mesure d’y apporter des réponses scientifiques.

LES OBSERVATIONS DU RAPPORT

Voici les principales conclusions de ce rapport, compilées de manière thématique.

1. Le stress et les dommages physiques augmentent tout au long de la traque

« – Les prises sont de l’ordre d’une chasse sur deux et sont plus fréquentes pendant le brame et à la fin de l’hiver, en particulier par temps plus froid. »

– La fréquence à laquelle les cervidés sont rentrés en contact avec les chiens et les participants à pied, et la fréquence à laquelle les suiveurs de la chasse ont bloqué la route d’un cerf étaient suffisamment élevées pour constituer une source de préoccupations. Plus les différents évènements stressants survenus lors d’une chasse étaient nombreux, plus la distance parcourue et la durée de la chasse étaient courtes.

L’évaluation du comportement a montré que la posture générale du cerf évoluait au fur et à mesure que la chasse progressait, et l’animal était alors plus susceptible d’être vu couché, à l’arrêt ou marchant. Malgré ces signes d’épuisement, la fréquence à laquelle le cerf galopait aux différentes étapes de la chasse ne variait pas. Cela suggère que le fait d’épuiser les animaux les menait à pousser au maximum leurs efforts physiques, et ce jusqu’à la fin de la chasse.

– Pratiquement dès le début de la chasse, un évaluateur de stress (cortisol) augmente rapidement. L’hémoglobine libérée par l’éclatement des globules rouges est également apparue en grande quantité dans le plasma. Les niveaux étaient plus élevés chez les animaux chassés sur des distances plus importantes. Très tôt, on constate qu’une grande quantité de lactate est produite et que le sang devient très acide. Par la suite, le niveau de lactate chute, non pas parce-que les animaux se sont adaptés, mais parce-que le lactate était probablement utilisé comme source d’énergie à mesure que les réserves de glucides se vidaient. L’avis selon lequel un épuisement si spectaculaire se soit produit est corroboré par la disparition du sucre constatée dans le sang et par celle des glucides dans le muscle, ainsi que par l’apparition de quantités croissantes d’acides gras dans le sang. Déjà au cours des chasses, les muscles ont commencé à montrer des signes de dommages physiques. Les niveaux d’hormone analgésique (ß-endorphine) augmentent de manière constante et proportionnelle à la distance parcourue. »

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2. L’effort exigé pendant la chasse à courre n’est pas naturel et va bien au-delà des limites physiques des cerfs élaphes

« – L’image claire qui émerge de l’analyse physiologique a été corroborée par des preuves tirées d’observations directes montrant qu’à la fin des chasses à courre, en particulier des plus longues, le cerf pouvait montrer des signes de fatigue, parfois extrêmes. Cependant, les données physiologiques issues des animaux chassés à courre indiquent que les niveaux de stress sont bien plus élevés que ceux qui découleraient de la seule réalisation d’un effort physique.

On peut en grande partie expliquer les graves répercussions des longues chasses à courre par les preuves tirées des études telles que la nôtre et démontrant que, contrairement aux idées reçues, le cerf élaphe n’est pas un animal actif mais plutôt sédentaire. L’habitat ancestral du cerf est la forêt et la prédation à laquelle il est le plus adapté est probablement celle du loup, son principal prédateur, dont la technique de chasse consiste à sauter ou à se précipiter sur sa proie, ou encore à s’en cacher. L’effort prolongé imposé par la chasse à courre n’est pas naturel pour le cerf élaphe.

Il n’était pas possible de suivre les cerfs ayant échappé aux chasseurs à courre. Ainsi, nous n’avons pas pu constater jusqu’à quel point les cervidés sont poussés à leurs limites les plus extrêmes et nous n’avons pas pu observer la manière dont ils récupèrent de cet effort. Cependant, nous connaissons la distance et la durée des traques qui ont précédé leur échappée. La littérature disponible suggère que la majorité des cerfs finissent probablement par récupérer, mais aussi qu’un stress prolongé peut affaiblir le système immunitaire et ainsi rendre les cerfs plus sensibles aux maladies.

L’étude a permis de produire des résultats scientifiques sans équivoque. Ils démontrent que les longues chasses à courre soumettent le cerf élaphe à un stress extrême et sont probablement à l’origine d’une grande souffrance chez ces derniers. Les chasses les obligent à faire l’expérience d’un état bien au-delà des limites ordinaires pour leur espèce. Ces stress sont d’un niveau au moins comparable à ceux ressentis par des cervidés grièvement blessés. Ils s’étendent sur plusieurs heures dans le cas des cerfs abattus et sur une période bien plus longue pour ceux qui parviennent à s’enfuir. En ce qui concerne ce dernier groupe, nous ne pouvons émettre de jugement quant à la durée probable de la récupération. Pour autant, cela n’annule pas la réalité de la souffrance causée. De plus, les risques qu’une telle souffrance soit occasionnée sont avérés pour chaque chasse. »

 

3. La souffrance infligée par la chasse à courre est incomparablement plus élevée que chez les autres modes de chasse

« – En ce qui concerne les autres modes de chasse, environ 5 % des cervidés chassés à tir ne seraient pas tués sur le coup et s’échapperaient. Il est probable que ces animaux fassent l’expérience d’une souffrance à l’intensité équivalente à celle ressentie par un cerf chassé à courre. […] Il est peu probable que l’augmentation des prélèvements par la chasse à tir pour remplacer ceux de la chasse à courre puisse être à l’origine de résultats sanguins aussi exceptionnels et chez autant de cerfs que ceux constatés chez la chasse à courre.

Ces données récoltées sur des cerfs chassés à courre sont en évidente contradiction avec celles recueillies sur des cerfs d’élevage et des cerfs tués sur le coup par balle, provenant eux aussi de l’Exmoor et de l’Écosse. Les groupes de cervidés non-chassés n’ont pas révélé de différences entre eux. […] Les données récoltées sur des cerfs chassés à courre correspondaient, à presque tous les égards, aux données recueillies sur des cervidés aux membres grièvement blessés et euthanasiés à la suite de ces blessures.

L’alternative que représente la chasse à tir du cerf, déjà à l’origine de la majorité des prélèvements dans l’Exmoor et les Quantocks, produit en moyenne des niveaux de souffrance individuelle bien plus bas. Ainsi, j’estime que les 130 cerfs chassés à courre chaque année, auxquels s’ajoutent à peu près 100 cervidés parvenant à s’enfuir, subiront des niveaux de souffrance inacceptables. À l’inverse, sur les 130 cerfs aujourd’hui abattus par la chasse à tir, environ sept cervidés seulement feraient face à ces difficultés en étant tués par balle. »

 

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LES CONCLUSIONS DU RAPPORT : LA CHASSE LA PLUS CRUELLE

« J’en conclus que le niveau total de souffrance serait considérablement réduit si la chasse à courre n’était plus pratiquée. Si l’on tient compte des normes appliquées dans d’autres domaines relevant du bien-être animal, il n’est plus possible de justifier la pratique de la chasse à courre au regard de la question du bien-être.

[…] Bien que mon champ d’observation se limitait aux propriétés du National Trust, les preuves scientifiques montrant que la chasse à courre peut entraîner un niveau de souffrance inacceptable chez le cerf élaphe sont de validité générale. Les éléments relatifs à la souffrance autrefois discutables sont dorénavant clairs et toutes les personnes pratiquant la chasse ou soucieuses du bien-être animal devront tenir compte de ces preuves. »

 

Les conclusions de ce rapport ont donc eu l’effet d’une bombe. Quelques mois plus tard, le National Trust interdit la chasse à courre du cerf sur ses terres (cette décision lui vaudra d’ailleurs d’être attaqué en justice) et Tony Blair est élu Premier Ministre avec un programme promettant l’abolition de la chasse à courre qui n’aboutira que 8 ans plus tard, non sans peine.

LES CHASSEURS À COURRE CONTRE-ATTAQUENT

Les chasseurs à courre, entrevoyant dans cette étude scientifique l’arrêt de mort de la chasse à courre du cerf en Angleterre, contre-attaquent très vite. Quelques mois après le dépôt du rapport, un équipage s’associe à la Countryside Alliance (un organe de lobbying pour la défense de la chasse et de la “ruralité”) pour commander sa propre étude ! Bilan : les deux travaux font émerger les mêmes résultats, mais le second rapport les interprète… à l’avantage d’un maintien de la chasse à courre, malgré la confirmation scientifique d’un “niveau de souffrance élevé”.
Les opposants affirment également que ce sont les chasseurs eux-mêmes qui ont effectué les prélèvements sur les animaux et qu’une chasseuse à courre a participé au rapport en assistant l’un des chercheurs. De manière générale, l’approche scientifique de cette étude s’est vue remise en cause : par exemple, dans la manière dont les chasses ont très bien pu être organisées et raccourcies, puisque les protagonistes connaissaient les conditions et les résultats de l’étude de Bateson. Difficile de prendre au sérieux cette démarche.
Malgré la pression, le National Trust maintiendra l’interdiction de la chasse du cerf, les résultats des deux études confirmant que “la souffrance engendrée par cette pratique est incompatible avec la responsabilité du National Trust de garantir la protection de l’espèce sur ses terres”. L’interdiction prendra fin en 2017, où le Trust autorisera la pratique de la “chasse au leurre”. Le sujet n’aura ainsi jamais cessé de hanter l’organisme, divisant régulièrement ses membres, même après l’abolition de la chasse à courre ! En 2021, la fuite d’une conférence organisée par les chasseurs à courre où des conseils étaient donnés pour organiser des chasses illégales, a cette fois donné lieu à l’interdiction de la chasse à courre et au leurre de tous les animaux sur les terres du National Trust. Pour combien de temps ?

CHAQUE VILLAGE, CHAQUE QUARTIER DOIT S'ORGANISER. TOUS ENSEMBLE, PROTÉGEONS LA FORÊT ET SES ANIMAUX !