AVA s’est toujours abstenu de prendre part au battage médiatique sensationnaliste généré autour de la mort tragique d’Élisa Pilarski et qui a beaucoup fait parler de la chasse à courre.
Il y a quelques jours, la presse rendait public le rapport d’expertise vétérinaire des chiens soupçonnés dans le décès d’Élisa Pilarski. Les experts n’ayant pas été mandatés pour réaliser une analyse comportementale des chiens de meute, leur venue au chenil de l’équipage le Rallye La Passion était facultative et avait pour objet des mesures anatomiques sommaires. Leur rapport se limite donc à quelques commentaires théoriques sur la chasse à courre, venus tout droit de l’imaginaire qui entoure la vénerie, fantasmé par les veneurs eux-mêmes. Malheureusement, ces théories, qui sont bien loin de la réalité de la pratique, sont truffées d’erreurs et d’imprécisions que nous espérons involontaires.
AVA a accumulé une expertise unique sur le sujet de la chasse à courre, et tout particulièrement sur le comportement des chiens de meute. Nous estimons qu’il est de notre devoir, avec la documentation et l’expérience que nous avons acquises à travers les années, de rétablir certains faits.
Nous nous tenons à disposition des institutions, des médias et de toute personne intéressée par une vision objective de la vénerie au XXIème siècle.
« Afin d’augmenter les chances de réussite durant la chasse, les chiens courants sont créancés, c’est-à-dire habitués à chasser exclusivement sur un animal donné. »
Rapport d’expertise, page 9
La créance des chiens est un conditionnement contre nature indéniablement faillible.
On créance les chiens de chasse en les familiarisant avec l’animal choisi (gibier laissé dans une cage ou dépouille laissée à la meute) ou encore directement par la pratique : pendant les chasses, les veneurs tentent d’arrêter les chiens fautifs par la voix et le fouet lorsqu’ils partent sur un autre animal que celui auquel ils sont destinés. Même une meute composée uniquement de chiens créancés s’intéresse à d’autres animaux (par facilité ou par erreur), cela est systématique. Comme l’indique le vétérinaire, la créance “augmente les chances de réussite de la chasse”, voilà tout. Tous les équipages de France témoignent dans leurs comptes-rendus de chasse de cette difficulté, notamment quand leur proie utilise la “ruse” du “change”, qui consiste à “livrer” aux chiens tout autre animal que lui pour s’enfuir (un cerf va se harder de biches ou va “livrer” un sanglier par exemple).
Le Rallye La Passion, qui chasse le chevreuil avec les chiens visés par ce rapport, expliquait d’ailleurs à Chasse Passion : “Globalement le relief ne permet pas toujours d’être aux chiens et le change abondant sur les lisières nous compliquent la tâche.” Selon le Livre blanc de la Société de Vénerie, “le change est une des difficultés majeure de la chasse à courre”, et plus particulièrement de celle au chevreuil puisque c’est la “ruse” qu’il utilise le plus.
La Centrale Canine indique d’ailleurs à propos de la race Poitevin (chiens du Rallye La Passion) : “Lors de son éducation il conviendra de bien lui apprendre à ne pas délaisser le gibier poursuivi pour un autre.”
En d’autres termes, il est tout simplement impossible de paramétrer la prédation des chiens jusqu’à une telle robotisation.
« Lors de la chasse, la mise à mort n’est pas le fait des chiens, mais de l’homme. […] Ces chiens sont dressés à la poursuite d’un gibier donné, pas à la morsure. »
Rapport d’expertise, page 9
C’est faux, les chiens de chasse à courre au chevreuil mettent à mort leurs proies.
Contrairement, par exemple, au principe de la chasse au chien d’arrêt (quête – approche – arrêt), la chasse à courre, et notamment au chevreuil, pratiquée avec des chiens courants se déroule comme suit : quête – traque – animal “mis aux abois” puis/ou directement tué).
Des ressources de tous types (comptes-rendus de chasse, photos, vidéos, reportages, témoignages, etc.) montrent et expliquent que les meutes de chiens courants évoluent tout à fait librement autour des veneurs, parfois même à plusieurs kilomètres de distance lorsque la meute se divise, ce qui donne régulièrement lieu à des attaques collatérales, en particulier sur le plus petit gibier (chevreuil, lièvre, lapin, renard) mais aussi sur d’autres animaux (congénères dans la meute, autres chiens domestiques, chats, veaux ou encore lamas).
À chaque chasse à courre, des chiens s’écartent systématiquement de leur meute et sont livrés à eux-mêmes, c’est d’ailleurs pour cela que les veneurs procèdent à un comptage en fin de chasse puis parcourent la forêt pour les retrouver. C’est également une des causes des divers débordements en zone urbanisée : quand ce n’est pas toute la meute qui est en cause, c’est souvent quelques chiens qui dévient sur un autre animal sans distinction. C’était le cas encore à Compiègne le 19/09/20, où le maître d’équipage mis en cause a expliqué qu’une dizaine de chiens lui avait échappé et avait poursuivi un cerf jusqu’en ville. Ce scénario est extrêmement fréquent, en témoigne notre recensement des incidents depuis 2018.
Dans le cas notamment du chevreuil (animal chassé par le Rallye La Passion), sa petite taille en fait une proie facile pour la meute, qui va alors le “coiffer” (l’attraper au niveau des oreilles) ou le mordre au niveau du cou ou de l’arrière-train pour le mettre à mort. On dit d’ailleurs traditionnellement que les chiens “portent bas” le chevreuil eux-mêmes, contrairement aux chasses aux gros gibiers où le rituel veut que ce soit le veneur qui “serve” (mette à mort à l’arme blanche) l’animal quand il n’est pas déjà mort d’une crise cardiaque. Contrairement aux plus grands animaux (cerfs, sangliers), le chevreuil n’est pas en mesure de “tenir les abois” (s’arrêter et faire face aux chiens lorsqu’il est “sur ses fins”), il est tué sur le champ ou du moins attrapé et mordu par les chiens dès leur arrivée. Les veneurs (qui doivent d’abord descendre de leur cheval et se rendre sur les lieux) ne peuvent tout simplement pas être présents avant cet acte pour tuer directement l’animal à la dague tant il est rapide. L’objectif des veneurs est alors d’arriver le plus vite possible afin de mettre définitivement fin à l’agonie de l’animal mais surtout de pouvoir conserver une dépouille suffisamment entière pour procéder au rituel de la “curée”. Pour pouvoir être présents au moment de la capture de l’animal, les veneurs doivent réussir à “être aux chiens”. La meute évoluant en liberté, parvenir à rester auprès des chiens n’est absolument pas un paramètre constant. C’est une possibilité qui varie selon tous les éléments environnants imaginables (relief, végétation, parcours de l’animal, nombre de participants, niveau de connaissances des veneurs, dispersion des chiens, etc.).
Même lorsque la meute est face à un animal de 200 kg, elle a le réflexe de mordre sa proie vivante et de la déchiqueter tant qu’elle n’en est pas empêchée (voir par exemple cette attaque sur un cerf).
Le vétérinaire n’ayant procédé à aucune analyse comportementale, la prédation des chiens en meute face à une proie et les réactions de la meute au contact d’autres chiens n’ont pas été observées.
Les comptes-rendus de chasse du Rallye Crespin, dont la devise est d’ailleurs ironiquement « Toujours aux chiens », nous éclairent sur ces questions:
“Les chiens chassent pleine gueule. Impossible d’avoir une vue malgré les cavaliers qui encadrent bien. Ce scénario dure une vingtaine de minutes. Puis d’un coup grand silence. J’attends quelques minutes avant de rallier aux chiens les laissant travailler le défaut. Je monte le chemin du fond pour les voir tous revenir à mon cheval. […] Auraient- ils coiffé leur animal ? Je les regarde attentivement, pas de sang sur leurs babines. Je pénètre avec mon cheval dans l’enceinte rien. Les chiens ne veulent plus chasser et suivent mon cheval. […] J’y retourne et pour avoir le cœur net je mets pied à terre afin de pénétrer plus en avant dans la végétation. Je retrouve un jeune animal tout mouillé que les chiens ont coiffé. Trop assoiffés les chiens ne l’ont pas pillé. Comme quoi il faut savoir écouter et comprendre ses chiens qui vous conduiront à persévérer.“
Ainsi que ceux du Rallye Saint-Eustache, édifiants :
“Je fini le tour puis remet les chiens dans cette enceinte vraiment mal pénétrable… mais ils ne retrouvent rien… j’élargi la quête, et les chiens relancent […]. Je fonce devant pour voir l’animal, mais ne parviens pas à mes fins, les chiens chargent … deux chasses se forment. […] Récapitulons : Soit l’animal a été coiffé par les chiens qui ont alors cherché à chasser un autre animal. Soit il n’a pas été pris, et les chiens, l’ayant perdu, en ont recherché un nouveau… On ne saura jamais… à moins que Saint Eustache m’explique, une fois au Paradis, accoudés, au comptoir…“
“Damoiseau reprend une voie et la maintient peu de temps… Puis revient, avec un peu de sang sur le cou… Marc pense qu’il a pris… Mais ça ne paraît pas tout à fait évident… Nous tentons de fouler l’enceinte de la prise potentielle… mais sans rien retrouver si ce n’est un change… Sauf que le lendemain, confirmation au chenil : grenade pleine de poil de chevreuil. L’animal a donc bien été pris !“
“Là, Michel Guichard a entendu l’animal bêler* deux fois : les chiens l’ont attrapé, tué, puis délaissé… Nous rattaquons donc, à proximité.”
* ndlr : Le chevreuil aboie, de la même manière qu’un chien, face à un danger.
« Il est hautement improbable que les chiens du Rallye La Passion soient susceptibles d’adopter un comportement de prédation envers un humain adulte, espèce à laquelle ils sont socialisés. »
Rapport d’expertise, page 9
Les éléments que nous apportons ci-dessus ne permettent pas d’affirmer cela sans une analyse comportementale des chiens concernés. Cette conclusion contredit d’ailleurs la suite du rapport qui affirme qu’un chien bien socialisé peut avoir un comportement de prédation envers un humain adulte, même familier.
Lorsqu’ils sont face à leur proie, les chiens de meute sont dans un tel niveau d’excitation que certains en viennent à mordre l’humain. Cela a notamment été constaté lorsqu’un humain essaye d’écarter un chien de sa proie : voir par exemple l’incident du 03/02/18 où un valet de chien, pourtant familier de la meute, est mordu. Ou encore ce témoignage de Céline qui a été mordue en essayant de sauver son chat de la meute.
La Centrale Canine indique à propos de la race Black & Tan (chiens du Rallye La Passion) : « En tant que chien courant, il doit être apte à travailler en contact avec d’autres chiens. […] Les sujets agressifs envers l’être humain ou d’autres chiens sont hautement indésirables. […] Rustique, très résistant, alerte, vif, ce chien est vigilant et agressif. Son éducation sera ferme. »
Les chiens de chasse à courre sont élevés et vivent de sorte à cultiver et exacerber leur comportement de prédation : vie en meute, viande de l’animal chassé donnée aux chiens, sortie en extérieure quasiment exclusivement pour la chasse, etc. Pour comprendre ce comportement et le mesurer, il est indispensable de le voir à l’œuvre.
Ces quelques lignes constituent les seuls commentaires des experts vétérinaires sur les chiens de chasse à courre. Nous espérons que ce savoir collectif que nous partageons aujourd’hui permet de mieux comprendre et d’appréhender la question de la compatibilité de la chasse à courre avec la vie du reste de la population, dont les témoignages sur les chiens de meute abondent.